Coups de gueule et coups de sang

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jeudi, juillet 26 2007

''Vous avez raté votre vie ? Avec nous, vous réussirez votre mort !''


Tel est le slogan du Magasin des suicides, où Mishima et Lucrèce Tuvache proposent aux clients une panoplie complète et exhaustive, classique, moderne ou excentrique, des attirails du suicide. Leurs deux aînés, Vincent et Marilyn, les assistent dans leur florissant commerce. Hélas, le petit dernier, Alan –ainsi prénommé en référence à l’un des pères de l’ordinateur, Alan Turing, suicidé en croquant une pomme empoisonnée, (d’où apprend-on au passage, l’origine du logo d’Apple) – le petit Alan respire la joie de vivre, sabote les potions mortelles ou subtilise les bonbons au cyanure. Il chante à tue-tête Il en faut peu pour être heureux, bref, c’est un grain de sable très efficace dans les rouages de la boutique familiale, d’autant plus redoutable qu’il est contagieux et que sa joie se communique même aux deux aînés…

Argument certes macabre, mais riche matière à une débauche d’humour noir, ce roman, qui m’a été prêté par une de mes élèves, me paraissait alléchant. - J’ai eu bien du mal à aller jusqu’au bout…

C’est assez « mal écrit », malgré un recours plus que fréquent à l’assistance involontaire de Baudelaire – la contrainte devait être de farcir le texte d’un maximum de citations des Fleurs du Mal … - et composé à la diable. Comme si ce qui a été publié était précisément « l’argument » du roman. Un canevas un peu détaillé. Mais rien ne campe vraiment l’atmosphère, sinon des notations qui relèvent plus de la didascalie ou de la déclaration d’intention que d’un authentique travail de mise en place d’un climat (c’est un monde où les gens dégringolent des tours de façon quasi naturelle, sans que l’on ressente ni sentiment d’inquiétante étrangeté, ni une quelconque aura fantastique). Pas non plus d’incarnation des personnages, tous affublés de traits de caractère ou de particularités physiques qui relèvent de la typologie, sans que l’on y croie vraiment. Tous les effets sont commentés, surlignés. Et les dialogues ! on a dû apprendre à ce type – Jean Teulé, l’auteur, je ne l’avais pas encore nommé – dans QUEL atelier d’écriture ? à varier au maximum les verbes introducteurs. Ça donne des avalanches de : s’étonne Lucrèce, tremble le jeune gardien, s’extasie Marilyn, commente Mishima, se justifie l’amour de la fille Tuvache ( !!! « la terre colle à mes sabots… »), minimise Lucrèce, s’étonne Mishima, chantonne Lucrèce, susurre hypocritement M.Tuvache… j’arrête là, vous en avez une page. C’est besogneux et, somme toute, ridicule.

Le livre avance donc vers son issue, courue d’avance ou à peu près – qu’apporte au message la « chute » finale ? – à renforts multipliés de références littéraires, suscitant chez le lecteur – ni semblable, ni frère ! – au mieux la lassitude, au pire ce sentiment, éminemment baudelairien, qui dans un bâillement avalerait le monde : l’Ennui. Triste résultat pour un roman qui se voudrait une leçon de joie de vivre.

samedi, juin 23 2007

La Petite Chartreuse de Pierre Péju.

Ça commence par le récit cinématographique de la façon dont la petite fille et la voiture du libraire vont se heurter irrémédiablement, avec les deux trajectoires au ralenti en quelque sorte : une image contemporaine du destin en marche. J’étais saisie, estomaquée - et bluffée, parce que c’est sacrément bien raconté. Aussi l’ai-je lu d’une traite, pour me sortir la tête de mes copies de bac pas très stimulantes. Eh bien, j’ai quitté ce bouquin avec une certaine colère et pas mal de frustration. À quoi bon tant de talent, des personnages si justement dessinés, si incarnés – surtout le libraire, cet homme si lourd dans son corps, son histoire, et l’immense mémoire de livres qu’il promène partout avec lui – pour finalement accumuler sur les trois personnages des avalanches de destin tellement inexorable que rien ne leur est plus laissé comme brève issue qu’une brève étreinte, une conjonction plutôt, sur un terrain vague, et chacun repart de son côté dans sa vie sans espoir, sans couleur, sans chaleur. De grandes claques de pessimisme obligé, à grands coups de taloche, comme on balance du ciment sur un mur. L’abus de pouvoir d’un romancier athée et tout-puissant, qui ne laisse pas plus de liberté à ses personnages – et à ses lecteurs – que le Dieu vengeur dont il a fait litière. Eh bien non. C’est trop. Docere peut-être, prenez-vous ça dans la gueule, la vie est une chienne, mais placere aussi : ce bouquin est torché, et l’attention portée par l’auteur à ses personnages, principaux et annexes, se dissout dans une toute puissance désinvolte. Manque de générosité. Du coup, c’est raté. Il fallait que je l’écrive. Ce n’est pas que je tienne au happy end. Mais une telle absence de compassion pour ses propres créatures, cela tient de l’imposture.

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